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Erri De Luca
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"Dans ces pages, je réunis des histoires extrêmes de parents et d'enfants. J'en suis à moitié étranger : n'étant pas père, je suis resté nécessairement fils."
Autour de ce thème très personnel de la filiation, devenu avec le temps un motif central de son oeuvre, Erri De Luca compose des variations pleines de finesse. On y croise de jeunes vagabonds napolitains, la fille d'un nazi en cavale, une femme incarcérée s'adressant à sa mère tout juste décédée, la jeunesse révoltée de Mai 68 ou encore le directeur d'un orphelinat de Varsovie.
À travers neufs récits qui mêlent l'intime à l'universel, Erri De Luca explore avec poésie les rapports entre parents et enfants. -
Dans les montagnes près de la frontière entre l'Italie et la Slovénie, un vieil horloger a pour habitude de camper en solitaire. Une nuit d'hiver, une jeune tsigane entre dans sa tente et lui demande de l'abriter. Elle a fui sa famille et le mariage forcé qu'on lui imposait de l'autre côté des montagnes. Cette rencontre inaugure une entente faite de dialogues nocturnes sur les hommes et la vie, un échange de connaissances et de visions - elle qui croit au destin, aux signes, qui sait lire les lignes de la main, elle qui dresse un ours et l'aime comme le meilleur des amis ; lui qui se sent tel un rouage de la machine du monde et qui interprète ce monde selon les règles du Mikado, comme si le jeu était une façon de mettre de l'ordre dans le chaos.
Dans ce roman dense et délicat, où chaque mot ouvre sur des significations plus profondes, où chaque phrase est un chemin vers soi-même, Erri De Luca nous invite à un jeu calme, patient et lucide, dans lequel un mouvement imperceptible peut changer le cours de la partie. -
' À mon âge, la prison prive de peu. Une peine appropriée serait de retirer les montagnes de mon passé, de les effacer de mes mains, de ma respiration. Mais elles sont en sécurité dans la soute de mes sens. Votre pouvoir sur moi se limite au petit présent. '
Sur un sentier escarpé des Dolomites, un homme chute dans le vide. Derrière lui, un autre homme donne l'alerte. Or, ce ne sont pas des inconnus. Compagnons du même groupe révolutionnaire quarante ans plus tôt, le premier avait livré le second et tous ses anciens camarades à la police. Tragique coïncidence ou crime prémédité ?
À travers l'interrogatoire par un jeune juge d'un accusé deux fois plus âgé, ce roman d'une grande tension fait se confronter deux visions de la justice et de l'engagement. -
Quelque part dans les Alpes italiennes, un chamois domine sa harde depuis des années. D'une taille et d'une puissance exceptionnelles, l'animal pressent pourtant que sa dernière saison en tant que roi est arrivée, sa suprématie est désormais menacée par les plus jeunes. En face de lui, un braconnier revenu vivre en haute montagne, ses espoirs en la Révolution déçus, sait lui aussi que le temps joue contre lui. À soixante ans passés, sa dernière ambition de chasseur sera d'abattre le seul animal qui lui ait toujours échappé malgré son extrême agilité d'alpiniste, ce chamois à l'allure majestueuse. Et puis, face à ces deux forces, il y a la délicatesse tragique d'une paire d'ailes, cette 'plume ajoutée au poids des ans'.
Le poids du papillon, récit insolite d'un duel entre l'homme et l'animal, nous offre une épure poétique d'une très grande beauté. Erri De Luca condense ici sa vision de l'homme et de la nature, nous parle de la montagne, de la solitude et du désir pour affirmer plus que jamais son talent de conteur, hors du temps et indifférent à toutes les modes littéraires. -
Chacun de nous vit avec un ange, c'est ce qu'il dit, et les anges ne voyagent pas, si tu pars, tu le perds, tu dois en rencontrer un autre. Celui qu'il trouve à Naples est un ange lent, il ne vole pas, il va à pied : Tu ne peux pas t'en aller à Jérusalem, lui dit-il aussitôt. Et que dois-je attendre, demande Rafaniello. Cher Rav Daniel, lui répond l'ange qui connaît son vrai nom, tu iras à Jérusalem avec tes ailes. Moi je vais à pied même si je suis un ange et toi tu iras jusqu'au mur occidental de la ville sainte avec une paire d'ailes fortes, comme celles du vautour. Et qui me les donnera, insiste Rafaniello. Tu les as déjà, lui dit celui-ci, elles sont dans l'étui de ta bosse. Rafaniello est triste de ne pas partir, heureux de sa bosse jusqu'ici un sac d'os et de pommes de terre sur le dos, impossible à décharger : ce sont des ailes, ce sont des ailes, me raconte-t-il en baissant de plus en plus la voix et les taches de rousseur remuent autour de ses yeux verts fixés en haut sur la grande fenêtre.
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'Je monte sur la passerelle, je ne pense à personne, je suis la dernière feuille de l'arbre et je me détache sans être poussé.
Je ne pense pas à la jeune fille aimée, suivie jusqu'à faire partie de son pays.
Maintenant je sais qu'elle est au fond de la mer, jetée au large du haut d'un hélicoptère, les mains attachées. A vécu pour moi, est morte pour offrir des yeux aux poissons.'
Le narrateur, Italien émigré en Argentine par amour, retourne ainsi au pays. En Argentine, sa femme a payé de sa vie leur combat contre la dictature militaire. Lui, le rescapé, a appris que la vie d'un homme durait autant que celle de trois chevaux. Il a déjà enterré le premier, en quittant l'Argentine. Il travaille comme jardinier et mène une vie solitaire lorsqu'il rencontre Làila, qui 'va avec des hommes pour de l'argent', et dont il tombe amoureux. Il prend alors conscience que sa deuxième vie touche aussi à sa fin, et que le temps des adieux est révolu pour lui.
Récit dépouillé à l'extrême, Trois chevaux évoque la dictature argentine, la guerre des Malouines, l'Italie d'aujourd'hui. Puis, à travers une narration à l'émotion toujours maîtrisée, où les gestes les plus simples sont décrits comme des rituels sacrés, et où le passé et le présent sont étroitement imbriqués, pose la question des choix existentiels que nous sommes amenés à faire - partir, rester, tuer, laisser vivre - et interroge la notion de destin. -
Dans un village au pied de la montagne, un sculpteur aide des clandestins à franchir la frontière. Bientôt, le soutien qu'il leur apporte attire l'attention des médias. Il décide alors de quitter le village et se voit proposer une tâche bien particulière : restaurer une croix de marbre, révéler la 'nature' qui se cache sous le pagne du Christ.
Réflexion sur le sacré et le profane, sur la place de la religion dans nos sociétés, La nature exposée est un roman dense et puissant, dans lequel Erri De Luca souligne plus que jamais le besoin universel de solidarité et de compassion. -
'Je n'aurais pas pu t'élever, je me suffisais à peine à moi-même. J'avais une tension sombre, indéfinissable.'
Une nuit d'orage, assis près du feu de cheminée, le narrateur songe au fils qu'il aurait pu avoir. Dans la pénombre vacillante, il décèle sa présence et lui parle.
De Naples, de la nostalgie de la famille, de la nécessité de partir, de l'engagement politique. Ce soir-là, père et fils se livrent sans merci le temps d'une rencontre inédite, étourdissante de poésie. -
Nous sommes à Naples, dans l'immédiat après-guerre. Un jeune orphelin, qui deviendra plus tard le narrateur de ce livre, vit sous la protection du concierge, don Gaetano. Ce dernier est un homme généreux et très attaché au bien-être du petit garçon, puis de l'adolescent. Il passe du temps avec lui, pour parler des années de guerre et de la libération de la ville par les Napolitains ou pour lui apprendre à jouer aux cartes. Il lui montre comment se rendre utile en effectuant de menus travaux et d'une certaine façon, il l'initie même à la sexualité en l'envoyant un soir chez une veuve habitant dans leur immeuble. Mais don Gaetano possède un autre don : il lit dans les pensées des gens, et il sait par conséquent que son jeune protégé reste hanté par l'image d'une jeune fille entraperçue un jour derrière une vitre, par hasard, lors d'une partie de football dans la cour de l'immeuble. Quand la jeune fille revient des années plus tard, le narrateur aura plus que jamais besoin de l'aide de don Gaetano...
Dans la veine de Montedidio, ce nouveau livre du romancier italien s'impose comme un très grand roman de formation et d'initiation. -
Aller simple ; l'hôte impenitent
Erri De Luca
- Gallimard
- Poésie/Gallimard
- 25 Février 2021
- 9782072879098
Parions que les lecteurs assidus d'Erri De Luca ne s'étonneront pas de son entrée dans la collection Poésie/Gallimard tant sa prose déjà signale constamment en lui le poète. Le présent volume qui reprend les poèmes d'Aller simple (Du monde entier) auxquels nous avons adjoint L'hôte impénitent dans son intégralité, donnera en outre à lire des poèmes inédits spécialement choisis par l'écrivain pour cette édition. Si Aller simple évoque d'abord l'épopée tragique des migrants qui tentent de rejoindre le sol italien et le destin des désespérés qui affrontent la violence de la mer et de l'indifférence, on y lira bien plus qu'un plaidoyer militant. La poésie de De Luca, portée par son humanisme engagé, proche dans sa sobriété et sa ferme clarté de celle de Primo Levi par exemple, trouve aussi son propos, comme son oeuvre en prose, dans l'évocation de la guerre, de l'amour, de la liberté perdue, de la terre d'Italie et n'exclut pas l'expression heureuse de l'existence dans sa sensualité.
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'Je comprenais mal pourquoi la virilité devait ignorer la douleur. Je la voyais appliquée aux hommes, j'essayais de la reproduire quand mon tour venait.
Lorsque j'arrivai sur la plage, mon effort pour me taire m'avait donné de la fièvre et Daniele montra à tout le monde la gloire de ma blessure. La curiosité d'une jeune fille jamais vue jusque-là, le contact de ses mains avec la mienne pleine de trous, chassèrent ma douleur de là aussi. Elle s'appelait Caia.'
Années cinquante, sur une île de pêcheurs. Un garçon de seize ans passe l'été dans la famille de son oncle. Il y côtoie un groupe de jeunes gens, dont Daniele, son cousin, et Caia, une mystérieuse jeune femme d'origine juive. Cette rencontre décisive va amorcer en lui une prise de conscience de la complexité de la condition humaine. -
"Les livres ont un sort meilleur que celui qui les écrit. Ils sont serrés dans les bras, emportés en voyage, sur une île du Sud ou dans une tente en montagne, fixés avec intensité par deux yeux qui feraient aussitôt baisser les miens."
La liberté rencontrée dans la nature autant que dans les luttes politiques, la fraternité entre travailleurs et le partage avec l'étranger, la lecture de la Bible et la figure de l'ange, l'amour et le plaisir de la littérature, voilà quelques-uns des motifs que tisse l'écrivain italien dans ces trente-sept textes autobiographiques qui composent Le plus et le moins. -
«La grâce, c'est la force surhumaine d'affronter le monde seul, sans effort, de le défier en duel tout entier sans même se décoiffer. C'est un talent de prophète. C'est un don et toi tu l'as reçu. Tu es pleine de grâce.»
Erri De Luca s'empare de l'histoire la plus connue de l'humanité, et l'articule autour de la figure de Marie. Ou plutôt de Miriàm, une simple jeune femme juive, fiancée à Iosef quand elle tombe enceinte, et qui sait ce que cette grossesse avant le mariage signifie aux yeux de la Loi. Sous la plume du romancier italien, l'histoire de la Nativité trouve un ancrage nouveau dans le contexte hébraïque, et se fait éloge d'un corps et d'une âme, ceux d'une mère... -
"À dix ans, on est dans une enveloppe contenant toutes les formes futures. On regarde à l'extérieur en adultes présumés, mais à l'étroit dans une pointure de souliers plus petite."
Comme chaque été, le narrateur descend de Naples pour passer l'été sur l'île. Il y retrouve le monde des pêcheurs et les plaisirs de la mer mais ne peut échapper à la mutation débutée avec son dixième anniversaire. Une fillette fait irruption sur la plage et, avec elle, trois garçons jaloux. De quoi remettre en question son ignorance du verbe aimer et sa vision de la justice.
Erri De Luca nous offre ici le récit envoûtant des mues de l'enfance. -
"Deux n'est pas le double
mais le contraire de un,
de sa solitude.
Deux est alliance, fil double
qui n'est pas cassé."
Dans Le contraire de un, recueil de nouvelles mêlé au vacarme, au bruit du XXe siècle, Erri De Luca décrit un monde où la solitude, propre de l'homme, est ponctuée de moments précieux et forts d'alliance et de solidarité. -
Un vieux criminel de guerre et sa fille dînent dans une auberge au milieu des Dolomites et se retrouvent à la table voisine de celle du narrateur, qui travaille sur une de ses traductions du yiddish. En deux récits juxtaposés, comme les deux tables de ce restaurant de montagne, Erri De Luca évoque son amour pour la langue et la littérature yiddish, puis, par la voix de la femme, l'existence d'un homme sans remords, qui considère que son seul tort est d'avoir perdu la guerre...
Le tort du soldat est un livre aussi bref que percutant qui nous offre un angle inédit pour réfléchir à la mémoire si complexe des grandes tragédies du XXe siècle. -
Erri De Luca accompagne la célèbre alpiniste italienne Nives Meroi dans l'une de ses expéditions himalayennes. Réfugiés sous la tente, en pleine tempête, ils engagent une conversation à bâtons rompus. Dans ce lieu magique à la jonction entre le ciel et la terre, où la beauté des montagnes contraste avec la violence des conditions climatiques, les récits d'altitude de la jeune femme sont une trame où se tissent réflexions et souvenirs de l'auteur autour du métier d'écrire et de la Bible. Présenté sous les traits d'une Pénélope qui n'a de cesse de faire et de défaire son ouvrage - car son ascension se conclut fatalement par le retour vers la plaine et par un nouveau départ vers une nouvelle conquête -, le personnage de Nives, symbole de force et de courage, est l'occasion pour l'auteur d'explorer plus avant les chemins de son écriture et de dévoiler au lecteur d'autres facettes de son parcours à la fois humain et littéraire.
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"Toutes les nuits, Irène rejoint la famille des dauphins, onze avec elle, guidés par une femelle adulte. Elle vide pour eux les filets sans les couper, elle descend sur le fond et détache des hameçons les anchois et les morceaux de calamars, elle ouvre les nasses. Avec son couteau italien, elle libère et sauve les siens empêtrés dans les filets. Elle reste avec eux jusqu'à la fin de la nuit. Elle a le même âge que deux des dauphins, une femelle et un mâle. Ils ont grandi ensemble, ils ont exploré les jeux jusqu'à la venue de la maturité."
Dans une langue épurée et puissante, Erri De Luca nous offre ici l'histoire d'une jeune femme vivant sur une île grecque, qui passe ses nuits à nager avec les dauphins. Ce texte est accompagné de deux autres courts récits, Le ciel dans une étable et Une chose très stupide. -
'Il était de ceux qui saisissent une phrase là où les autres n'entendent que du vacarme. Par la gorge tendue d'un lion, dans une rafale, dans une avalanche, dans un coup de tonnerre, il reconnaissait le son d'une voix. Tout en l'écoutant, il la lisait aussi, écrite et couchée. Celui qui voit un fleuve regarde le sens dans lequel il coule, vers où il descend selon le courant. Mais l'avenir d'un fleuve est à sa source. Lui regardait du côté de l'origine du vent.'
Un homme est retrouvé, épuisé, au bord d'un campement. Alpiniste courageux devenu vagabond, sa disparition avait fait perdre espoir à tout un peuple dont il était le guide. On découvre son histoire, l'ascension difficile, lorsque soudain, face à la muraille, sa voix se met à résonner : 'Je suis Adonài (Yod) ton Elohìm.'...
Erri De Luca revient aux sources des Dix Commandements. -
Erri De Luca fréquente la Bible depuis longtemps. Sa connaissance des Écritures ne doit pourtant rien à la foi ou à un quelconque sentiment religieux : De Luca se dit non croyant, incapable de prier ou de pardonner. Il est néanmoins habité par le texte biblique au point de commencer presque chaque journée par la lecture et la traduction d'un passage. Les courts textes rassemblés ici témoignent de ce corps-à-corps quotidien avec la Bible et de ces exercices matinaux qui lui donnent matière à réfléchir, comme un noyau d'olive qu'il retournerait dans la bouche tout au long de la journée.
Un ton très personnel caractérise les commentaires de De Luca : leur approche est aisée même pour qui ne connaîtrait pas bien la Bible. Le romancier italien ne cherche pas à s'avancer sur le terrain de la théologie, mais seulement à rendre compte de ses lectures quotidiennes qui résonnent en lui, structurant à la fois sa vie et son écriture. Sa volonté de comprendre le grand texte le conduit la plupart du temps à une attention particulière aux mots hébraïques, à leur sens, oublié ou enfoui par la traduction et la tradition. En reliant à sa vie et à la nôtre des épisodes bibliques souvent connus, il parvient à formuler des observations que le lecteur à son tour n'aura de cesse de retourner dans sa bouche comme un autre noyau d'olive. -
"Pour beaucoup, la Bible est un texte sacré. Mais ce qui me touche plus que cette valeur en soi, c'est le sacré qui s'est ajouté, l'oeuvre des innombrables lecteurs, commentateurs, savants qui ont consacré à ce livre le plus clair de leur vie. Le sacré de la Bible est devenu, à travers eux, une civilisation.
Il m'arrive d'être frappé par la beauté d'un vers qui a perdu son éclat en quittant sa langue maternelle. Ainsi la ligne 39 du psaume 105, où l'on chante Dieu guidant les Hébreux dans le désert. Le texte officiel de l'Église le traduit : "Il étendit une nuée pour les protéger." Mot à mot il s'agit au contraire de : "Il étendit un nuage comme un tapis."
Illustrer la Bible d'une note nouvelle : non pas pour apposer en bas de page, à l'infini, une autre signature, mais pour refléter une part de la lumière qu'elle offre, même au dernier de ses lecteurs." -
"Maintenant l'autobus s'ébranle, la vitre tremble et je frissonne de froid. Je vois encore ton lourd manteau, ton sac, mais pas tes yeux. Je ne sais plus si tu regardes vers moi. Il ne te fut pas permis de reconnaître ton fils vieilli, tu n'as vu qu'un homme qui te regardait à travers une vitre."
Dans ce récit d'une enfance napolitaine, la mémoire n'est pas une consolation mais un drame : une lumière blanche et compacte semble baigner la ville, soudain dénudée, loin de sa fièvre baroque. L'image des êtres perdus - la mère, à qui s'adresse chacune de ces pages, le père, un ami mort... - se juxtapose au deuil et à l'oubli, qu'elle ne compense pas. Voilà pourquoi Pas ici, pas maintenant n'est pas une évocation nostalgique, mais un livre abrupt et fier, que rythment de subtils dérèglements comme autant d'initiations : le bégaiement du narrateur, les lapsus, un pas qui achoppe, des jouets qu'on brise. Et toujours, entre le monde et l'enfant, une vitre, les gestes tendres et lointains d'une mère. -
'Mon âge, ma bête fauve, qui pourra
te regarder au fond des yeux
et souder de son sang
les vertèbres de deux siècles?'
Ces vers d'Ossip Mandelstam barrent l'horizon de ce livre. 'Le siècle', titre de cette poésie, prend, dans ce livre, la forme d'un assassin, d'un missionnaire et d'un hôte errant. Autour de leurs voix, la pierre volcanique d'une maison dans les champs. Pierres, mortier, foyer, vent : de la matière s'élèvent un grondement et un choeur derrière leurs récits, qui les pressent et les portent à l'achèvement.
La couleur dominante est le blanc des éclairs qui déchirent le noir d'une nuit fatidique.
Erri De Luca. -
Publié en 1994, le recueil de nouvelles En haut à gauche semble contenir en germe nombre de livres à venir d'Erri De Luca. C'est d'abord l'enfance napolitaine, des pêcheurs taciturnes, une nature découverte avec l'école buissonnière. Puis, souvent d'inspiration autobiographique, de courts récits mettent en scène les années d'initiation ouvrière : le narrateur est né en bourgeoisie, il s'éveille à la solidarité des exploités. Surgissent des souvenirs de lutte, de sauvetages amoureux. Partout, le sacré. Erri De Luca excelle à transmettre la beauté des corps et des objets, la chair du monde et des livres. Chaque expérience devient une source d'enseignement que les mots viennent prolonger.
'J'ajoute à l'édition française ces histoires de surface, Les coups des sens, cinq maigres aventures d'un corps touché par les caresses et les stigmates.'
Erri De Luca.